Quand le déchet des uns fait le bonheur des autres

Chaque année, le monde de la construction envoie 250 millions de tonnes de déchets à la benne. A elle seule, la filière représente 70% de la production de déchet annuelle française. Dans ce contexte, des solutions existent et de nouveaux acteurs, vertueux et plus responsables tentent d’imposer un nouveau paradigme.
Lorsque l’on s’inquiète des tonnes de déchets que l’on ne parvient pas à valoriser, les convaincus du réemploi ambitionnent d’éveiller les consciences en accompagnant de nouvelles pratiques, les constructions d’hier pouvant devenir la matière première de celles de demain.
Le réemploi, une solution vieille comme le monde pour relever les défis du futur ? Entre pouvoirs publics, maîtres d’œuvres et maîtres d’ouvrage, les places de marché digitales entendent bien se tailler la part du lion.
De la benne aux plateformes en ligne
Comment gagner de l’argent avec des déchets ? Cette question, Sébastien Duprat et Lucile Hamon se la posent. Tous les jours. L’un appellera sa réponse Cycle Up, l’autre Backacia. Leur point commun ? Avoir lancé une plateforme digitale dédiée à la valorisation des déchets issus de chantiers de déconstruction.
« Notre volonté première est de remettre l’économie circulaire au cœur d’une solution économique » commente Lucile, fondatrice de Backacia, plateforme d’achat / vente dédiée au réemploi.
Sébastien, fondateur de Cycle Up veut quant à lui faire correspondre une offre, pléthorique, de matériaux disponibles, réutilisables, et la demande. Pour autant n’essayez pas de lui dire qu’il est précurseur : « le monde de la construction fait ça depuis toujours ! La Gare de Lilles-Flandres, inaugurée en 1846, n’est autre que l’ancienne Gare du Nord, démontée puis remontée pierre par pierre ! »
« Les démolisseurs, c’est TOP GUN de l’ingénierie du bâtiment ! »
Écologique, responsable et pratique sur le papier, opaque et peu employé dans la pratique. Voilà donc l’enjeu : adapter le réemploi à la construction d’aujourd’hui. Pour Sébastien Duprat, les professionnels en première ligne montrent déjà la voie. Fin 2018, il organise une consultation dans le cadre d’un projet de déconstruction dans le respect d’un cahier des charges facilitant le réemploi. Cureurs et démolisseurs ne se bousculent pas et l’entrepreneur se retrouvent face à des propositions au prix exorbitant.
Le message est limpide : merci mais non merci. Ce qui aurait pu ressembler à un gros caillou dans la chaussure s’est rapidement transformé en motif d’optimisme supplémentaire : « 12 mois plus tard, nous revenons à la charge. Résultats : 3 propositions avec une méthodologie claire et détaillée, et sans aucune plus-value ! »
Pour le fondateur de Cycle-Up, au-delà de la démonstration d’une grande capacité à faire évoluer les pratiques, cette adaptation est le signe que structurée, la filière du réemploi peut être bénéfique à tous : « Aujourd’hui, le coût de traitement d’une tonne de déchet avoisine les 200 euros ! Tout le monde est preneur d’une solution. »
Dans ce contexte, l’argument en faveur du réemploi fait mouche : gagner de l’argent plutôt qu’en dépenser. Si bien qu’aujourd’hui, maîtres d’ouvrage et entreprises trouvent ensemble l’équilibre qui leur correspond.
Comment calculer la part de réemploi dans votre projet ?
Grâce au poids du bâtiment qui est obtenu à l’occasion d’une étude « ACV » (Analyse du Cycle de Vie). Cycle-Up propose une méthodologie consultable en suivant ce lien.
SOURCE: Pôle eco-conception https://www.eco-conception.fr/static/analyse-du-cycle-de-vie-acv.html
Architecture et diagnostic
« Le réemploi a donné du sens à mon approche de l’architecture » explique quant à lui Morgan Moinet. Il est architecte et à la tête de Remix, un bureau d’études spécialiste de la question, intégré à l’agence « Encore Heureux ».
Pour lui, la question s’articule selon plusieurs axes : l’étude, l’assistance à maîtrise d’ouvrage et la formation. Car plus encore qu’à l’accoutumée, l’architecte doit accompagner chacune des étapes de la vie d’un bâtiment. En commençant bien souvent par sa mort : « l’identification d’un gisement de ressources est la première étape. Il faut alors procéder à un diagnostic ressources » explique-t-il.
Comprendre : identifier les matériaux qui vont être extraits et leur potentiel de réemploi. En la matière, le droit a évolué et la nouvelle mouture du diagnostic déchet, désormais appelé diagnostic « produits, matériaux et déchets » déployé depuis le 1er janvier 2022, vise à faciliter la généralisation du réemploi.
Réemploi sur mon projet : par où commencer ?
- Se faire accompagner par un bureau d’études spécialisé lors de votre première mission
- Prévoir le stockage de ces matériaux
- Être vigilant au vol : les matériaux en réemploi sont souvent moins bien surveillés que les matériaux neufs mais attirent tout autant les convoitises. Prudence donc.
- Anticiper les étapes : un matériau neuf est commandé puis livré. Comment conditionner les matériaux, comment les transporter puis les stocker ? Tout cela s’anticipe.
Remettre les pendules du projet à l’heure
Reste un écueil : faire coïncider construction et déconstruction. Dans ce laps de temps, qui peut se compter en mois ou en années, les plateformes font face à l’épineuse question de la disponibilité de la matière première.
Chez Backacia, les équipes s’appliquent à faire correspondre les plannings, afin qu’un matériau réutilisable soit disponible au moment où il est transférable sur le projet de construction.
Chez Cycle Up, on préfère parler de « BAMB ». Derrière ce nouvel acronyme, le Building As a Material Bank. Comprenez : l’utilisation d’un bâtiment, encore sur pied, comme autant de matériaux disponibles à horizon 2 ou 3 ans.
Les avantages : adieu les frais de gardiennage ou de stockage, et exit les risques de se retrouver avec des matières premières sur les bras dont personne ne voudra.
A qui la faute ?
Si à ce stade, l’architecte peut prêter une oreille attentive aux arguments du réemploi, il aura tôt fait de lui opposer une couche supplémentaire de responsabilités sur ses épaules qu’il refusera, assez logiquement, d’un revers de main. Lorsque le produit est neuf, la responsabilité du fabricant le protège. Mais lorsqu’il ne l’est plus, vers qui se tournera le maître d’ouvrage en cas de défaillance ?
Pour Lucile Hamon, la solution est d’exclure les matériaux dont l’usage implique une norme. Au-revoir alors la porte coupe-feu qui perd son PV en même temps qu’elle sort de ses gonds, et bonjour les moquettes et autres revêtements ne requérant aucune garantie spécifique.
Chez Cycle Up, on s’inspire d’autres secteurs : « Personne ne s’étonne que l’on puisse assurer une voiture achetée d’occasion. Pourquoi en serait-il autrement pour une brique ? »
De même que les Documents Techniques Unifiés (DTU) ne précisent pas si les matériaux à utiliser sur un chantier doivent être neufs ou non, le recours à une market place spécialisée en réemploi ne devrait, pour Sébastien Durat, rien changer.
Pour Morgan Moinet, rien n’est figé et tout sera question d’adaptation de la filière. « Aujourd’hui, l’une des principales difficultés du réemploi concerne les inertes. Or certains ouvrent des pistes. Sur le béton, des tests sont réalisés sur la découpe de grandes voiles réutilisables. Pourquoi pas ne pas produire des pavés avec ce béton ? Les possibilités sont nombreuses. »
POUR ALLER PLUS LOIN
Lire le livre « Matière Grise » : consommer plus de « matière grise » pour consommer moins de « matières premières » : l’un des mots d’ordre de cet ouvrage qui convoque l’intelligence collective pour reconsidérer notre usage de la matière en architecture. 14 essais, 13 entretiens et 75 projets démontrent le potentiel du réemploi et la possibilité d’une nouvelle vie pour des matériaux usés dans tous les lots du bâtiment.
-> Commander « Matière Grise »
Le blog « matériauxréemploi.com : un site dédié à l’actualité du réemploi des matériaux de construction dans l’architecture. Administré par le bureau d’études REMIX, le site a pour but de diffuser les pratiques des acteurs de la filière du réemploi des matériaux de construction auprès du plus grand nombre. Il a été créé début 2018 par Morgan Moinet – qui en est encore aujourd’hui le directeur de la publication – afin de pérenniser, diffuser et prolonger les recherches du « Groupe de veille_Réemploi des matériaux de construction » qui compte aujourd’hui plus de 8000 membres.